Viktoria LyssenkoLe Déterminisme
linguistique de Benveniste
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Font Washington
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Parmi les nombreux travaux dÉmile Benveniste aucun na acquis une notoriété comparable à celle de son article Catégories de langue et catégories de pensée[1] et en même temps na suscité une polémique aussi vive et même aussi acharnée[2]. Dans la première partie de ce travail, jexamine les reproches de déterminisme linguistique faits à Benveniste par ses critiques. La deuxième partie présente une tentative dappliquer les idées de Benveniste à létude du penseur indien Pra÷astapàda (VI siècle de notre ère) appartenant à lécole Vai÷eùika.
Déjà Nietzsche dans Par-delà bien et mal avait évoqué le fait que non seulement la pensée façonne le langage, comme on ladmet généralement, mais que le langage à son tour, exerce sa propre influence sur la pensée, de sorte que nous raisonnons daprès la routine grammaticale: penser est une action, toute action suppose un sujet qui laccomplit[3]. Ce thème a trouvé un écho considérable dans loeuvre de L.Wittgenstein à travers la notion de jeux de langage. Moins connues sont les remarques dEdward Sapir sur le même thème: Le philosophe, dans une mesure bien plus importante quil ne le reconnaît, savère victime dune tromperie exercée par son propre discours; en dautre termes, la forme dans laquelle se moule sa pensée (il sagit essentiellement dune forme langagière) se trouve en relation directe avec sa vision du monde. Cest ainsi que de simples catégories langagières peuvent revêtir lallure imposante dabsolus cosmiques. Et si le philosophe désire saffranchir de la littéralité philosophique, alors il a tout intêret à examiner dun oeil critique les fondations et limitations langagières de sa propre pensée. Dans ce cas, il naura pas à faire la découverte humiliante pour lui que bien des idées nouvelles, bien des conceptions philosophiques apparemment brillantes ne sont pas autre chose que des permutations de mots familiers à lintérieur de constructions formalement acceptables[4].
Cependant, en dépit de ces brillants précédents, cest à travers la formulation particulièrement limpide et exhaustive dËmile Benveniste que la thèse de linséparabilité de la langue et de la pensée a trouvé la plus large reconnaissance.
Assurément, le langage en tant quil est parlé, est employé à convoyer ce que nous voulons dire. Mais cela que nous appelons ainsi, ce que nous voulons dire ou ce que nous avons dans lesprit ou notre pensée ou de quelque nom quon le désigne, est un contenu de pensée, fort difficile à définir en soi, sinon par les caractères dintentionnalité ou comme structure psychique, etc. Ce contenu reçoit forme quand il est énoncé et seulement ainsi. Il reçoit forme de la langue et dans la langue, qui est le moule de toute expression possible; il ne peut sen dissocier et il ne peut la transcender. Or cette langue est configurée dans son ensemble et en tant que totalité. Elle est en outre organisée comme agencement de signes distincts et distinctifs, susceptibles eux-mêmes de se décomposer en unités inférieures ou de se grouper en unités complexes. Cette grande structure, qui enferme des structures plus petites et de plusieurs niveaux, donne sa forme au contenu de pensée. Pour devenir transmissable, ce contenu doit être distribué entre des morphèmes de certaines classes, agencer dans un certain ordre, etc. Bref, ce contenu doit passer par la langue et en emprunter les cadres. Autrement, la pensée se réduit sinon exactement à rien, en tout cas à quelque chose de si vague et si indifférencié que nous navons aucun moyen de lappréhender comme contenu distinct de la forme que la langue lui confère. La forme linguistique est donc non seulement la condition de transmissibilité, mais dabord la condition de réalisation de la pensée[5].
Bien que personne nait contesté cette thèse dans son principe, Benveniste fut accusé de déterminisme linguistique. Ce qui a motivé de semblables reproches fut la partie de larticle dans laquelle Benveniste sefforçait de démontrer sa thèse à partir dun exemple concret, à savoir lanalyse des catégories dAristote. Lexemple avait été pris des catègories dAristote, et larticle suscita plus de méprises que dobjections, -- écrit Claude Imbert[6]. En prenant en considération leventualité de tels malentendus, essayons donc de voir dans quelle mesure se justifient les réproches de déterminisme linguistique adressés à Benveniste. Ce terme, pour autant que je le comprenne, renvoie à la détermination de la pensée par la langue, à la réduction de la pensée à la langue (Derrida[7]), et, en mettant les points sur les i, au fond à une profanation de la liberté sacrée de la pensée.
Il me semble que la réponse à la question de savoir si Benveniste est un déterministe se trouve à la fin de cette article, là oú il écrit: Aucun type de langue ne peut par lui-même et à lui seul ni favoriser ni empêcher lactivité de lesprit. Lessor de la pensée est lié bien plus étroitement aux capacités des hommes, aux conditions générales de la culture, à lorganisation de la société quà la nature particulière de la langue. Mais la possibilité de la pensée est liée à la faculté de langue, car la langue est une structure informè de signification, et penser, cest manier les signes de la langue[8].
Difficile de sexprimer plus clairement la langue ne détermine pas la pensée au sens oú cette dernière se moulerait mécaniquement sur elle, le progrès de la pensée nest pas lié aux particularités de la langue; cependant, la pensée nexiste pas sans langage, sans opèrer avec les signes linguistiques. Cest dire que le langage à la fois détermine et ne détermine pas la pensée. En substance, la question revient à comprendre le processus même de la détermination: oú se termine la détermination conditionante, à savoir la mise en place de certaines conditions initiales dans lequelles se développera telle ou telle démarche mentale, et oú commence la prédétermination, cest à dire le déterminisme au sens strict . Le pensée se laisse ici comparer à lhomme invisible de Wells. Pour se rendre visible il devait recouvrir de tissu toutes les parties de son corps, et cest seulement ainsi quon pouvait le voir. Peut-on dire que ses vêtements déterminaient lhomme invisible? En un certain sens, bien sûr, de la même façon quils nous déterminent tous (on accueille les gens selon leur habillement, et on les raccompagne sur le seuil en fonction de leur esprit comme le dit le proverbe russe). Nous sommes également déterminés par le fonctionnement de notre organisme, par la structure de nos organes de perception, en un mot, par toutes les limitations surimposées par les lois physiques, physiologiques, le milieu environnant, la culture etc. à notre auto-expression spontanée. Nous sommes construits autrement que les oiseaux et sommes incapables de voler, mais cela ne nous a pas empêchés dinventer des engins volants. De telles limitations-déterminations savèrent elles strictes, insurmontables? A savoir, le fait quil ne soit pas donné à lhomme de voler signifie-t-il quil ne lui est pas davantage donné déprouver la sensation du vol? Songeons non seulement à laviation, mais aussi à nos capacités dimagination et de rêve. En fait, lhistoire de lhumanité témoigne précisement du contraire. Toute espèce de limitation vient tôt ou tard à être surmontée, car elle est toujours ressentie comme un défi lancé à lesprit humain. De plus, le progrès dans le domaine des innovations techniques a nourri la foi en la toute-puissance de lesprit. Par conséquent, tout rappel des limites propres de lesprit (et notamment de celles liées au langage) est ressenti comme laccusation philosophique la plus grave celle de déterminisme -- quil soit possible délever à lencontre dune théorie quelconque. Et de fait, la civilisation occidentale on le sait repose sur le principe de la liberté et de lautonomie de lhomme en tant quêtre rationnel.
Or, en parlant du déterminisme linguistique, nous oublions que le langage, lui aussi, est un produit de la civilisation humaine et, en particulier, une expression de la pensée. Comme tout ce qui est créé par lhomme et qui le crée en retour, il recèle une logique, un certain ressort de sa pensée propre. Dans ce sens le langage peut être plus intelligentque ses utilisateurs[9].
Ainsi, le langage est chargé dune énergie qui lui est propre, il dispose dune capacité propre de résistance qui entre en collision avec lénergie de la pensée. Il nest en aucune manière un simple instrument au service de la pensée. Sil en allait ainsi, nous ignorerions les affres de la création liés à lincapacité provisoire de rendre une certain pensée, de lexprimer par des mots. Lénergie de la pensée se heurte à la résistance du langage, mais il ne sagit pas de la résistance passive dun obstacle immobile (comme un mur), mais de celle, active, dune énergie autre. La lutte de ces deux énergies est un combat dont lenjeu est leur raprochement maximal sans quil y ait pour autant de vainqueur ou de vaincu.
Le pathos de larticle de Benveniste, de mon point de vue, consistait à corriger le déséquilibre en faveur de lénergie de la pensée qui régnait à son époque et qui se maintient jusquà nos jours. Comme nous lenseignent les lois de la mécanique, pour compenser un déséquilibre il est nécessaire dappliquer en sens inverse une force égale à celle qui la produit. Les critiques de son interprétation des catégories aristotéliciennes contestent avant tout ce redressement quil opère au profit de linfluence du langage.
Benveniste: Nous nous demandions de quelle nature étaient les relations entre catégories de pensée et catégories de langue. Pour autant que les catégories dAristote sont reconnues valables pour la pensée, elles se rélèvent comme la transposition des catégories de langue. Cest ce quon peut dire qui délimite et organise ce quon peut penser. La langue fournit la configuration fondamentale des propriétés reconnues par lesprit aux choses. Cette table des prédicats nous renseigne donc avant tout sur la structure des classes dune langue particulière.[10]
Contre
cette conclusion de Benveniste plusieurs argument de portée inégale
-- ont été avancés.
Dans lintroduction de son édition desCatégories Richard
Bodéüs écrit: On a dit notamment que les distinctions catégorials
étaient de simples distinctions linguistiques, qui plus est, inspirées,
dans la langue greque, par des différences grammaticales, allant du
substantif à la voix passive. Cette
thèse est
insoutenable et personne, aujourdhui, ne la prend plus au sérieux.
Lhomme, le
nombre,
lesclave, et
la justice, qui
se classent respectivement dans chacune des quatre catégories, sont
, grammaticalement quatre substantifs[11].
Cet unique argument critique présenté par Bodéüs en faveur de son appreciation, disons, catégorique, de la thèse de Benveniste (car cest lui avant tout qui est visé dans ce passage), éveille en moi de sérieux doutes. Je vois mal en quoi ces exemples réfutent lanalyse de Benveniste, selon laquelle les six premières catégories se réfèrent toutes à des formes nominales, et les quatre suivantes à des formes verbales, cette division reflétant par ailleurs la morphologie grecque[12]. De fait, cest precisément cela quun autre chercheur, Jules Vuillemin, met à son actif, lui qui ,à la différence de Bodéüs, prend lanalyse de Benveniste tout à fait au serieux, comme elle le mérite[13].
Je pense quun certain biais linguistique de Benveniste a consisté en ceci que sur la base de tout une série de faits et de principes avérés découverts dans son analyse il a présenté des conclusions dun niveau de généralité que nautorisaient pas toujours ces mêmes données. Cela pouvait provoquer des questions et des remarques critiques du genre de celles formulées par Jules Vuillemin:
En effet, de ce quune philosophie emprunte aux oppositions dune langue les concepts et les oppositions reconnues fondamentales pour la pensée, il est légitime de conclure non seulement que la langue propose des suggestions à la pensée , mais quil est impossible de penser ce qui ny est pas exprimé; toutefois il est illégitime de conclure que la table des catégories de la pensée reflète celle des catégories de la langue. Pour pouvoir aller jusque là, il faudrait avoir montré que le tableau des catégories empruntées à la langue est aussi le tableau complet de ces catégories quant à la langue. Dans le cas contraire, il y aura sélection et, si le philosophe choisit dans les catégories linguistiques, cest que son choix nest précisement plus dicté uniquement par la considération de la langue. Or, cest bien ce qui se passe, puisquon ne saurait prétendre que la structure des catégories de la langue grecque est exhausitivement exposée dans le tableau dAristote. En fait, celui-ci suit une articulation logique qui, en même temps, possède une portée ontologique[14].
Tout jugement catégorique comporte un certain risque, mais il y a des situations oú ce risque peut se justifier. Autrement, il serait tout à fait impossible de formuler quoi que ce soit dune manière univoque et déterminée. En effet, pratiquement tout jugement de caractère plus ou moins général est inévitablement sujet à des réserves, restrictions et autres exceptions. Et il est fréquant quune pensée ainsi rectifiée sencombre de tant de précautions, quelle en devient stérile. Si Benveniste avait proposé sa thèse sous une forme plus adoucie et correcte, toute cette problématique naurait eu guère de chances de quitter ses ornières. Cest pourquoi une certaine accentuation et radicalisation de cette thèse dans son étude des catégories aristoitéliciennes sest avérée féconde, comme le temps la montré, en philosophie comme en linguistique. Cest précisement ce genre de radicalisation qui a ouvert une ère détudes systématiques des catégories aristotéliciennes dans la perspective des relations entre grammaire et philosophie, entre langage et pensée. Benveniste par le défit quil a lancé, a, pour ainsi dire, sensibilisé les chercheurs à ce problème.
La véracité ou la non-véracité de la position de Benveniste est une question de degré et non de principe. A supposer quil ait raison, cest à dire, si le langage exerce bien une certaine influence sur la pensée, la question est alors de savoir en quoi consiste cette influence et dans quelle mesure elle détermine la pensée. Cette question demeure jusquici ouverte.
Benveniste: En élaborant cette table des catégories, Aristote avait en vue de recenser tous les prédicats possibles de la proposition, sous cette condition que chaque terme fût signifiant à létat isolé, non engagé dans une symploké, dans un syntagme, dirions-nous. Inconsciemment il a pris pour critère la nécessité empirique dune expression distincte pour chacun des prédicats. Il était donc voué à retrouver sans lavoir voulu les distinctions que la langue même manifeste entre les principales classes de formes et ces classes ont une signification linguistique. Il pensait définir les attributs des objets; il ne pose que des êtres linguistiques: cest la langue qui, grâce à ses propres catégories, permet de les reconnaître et de les spécifier Il sensuit que ce quAristote nous donne pour un tableau de conditions générales et permanentes nest qua la projection conceptuelle dun état linguistique donné.[15]
On peut supposer que lattribution à Aristote dune analyse inconsciemment linguistique des catégories, nexclut nullement la présence chez lui dune analyse consciemment philosophique. Elle nexclut pas davantage que le philosophe soit en mesure de choisir entre diverses catégories (cf. la critique de Vuillemin), ni que le fait même de se tourner vers la catégorialité représente une démarche philosophique par excellence (cf. Derrida[16]). En effet, toutes ces possibilités nentrent pas en contradiciton avec la thèse de Benveniste, mais, simplement, elles sortent du cadre spécifique de son article. Il se borne à attirer notre attention sur limpossibilité qu il y a à classer les propriétés des choses sans recourir aux divisions et oppositions présentes dans la langue même, de sorte que, pour cette raison, nos classifications des propriétés des choses pourraient savérer les reflets de notre capacité de percevoir les choses à travers le langage. Remarquons que cette idée ne requiert pas pour sa démonstration un passage en revue de toutes les catégories de la langue, ou létablissement de leur table complète (comme dans la critique de Vuillemin).
En dévoilant une relation étroite entre le système des catégories dAristote et le grec ancien, Benveniste admettait-til par là-même un rapport entre une langue déterminée et un certain type dactivité philosophique? Je ne peux pas affirmer avec certitude quil approuverait Nietzsche déclarant: Létrange air de famille de toutes les pensées hindoues, grecques et allemandes ne sexlique que trop bien. Quand il y a parenté linguistique, il est inévitable quune philosophie commune de la grammaire je veux dire la prépondérance et laction des mêmes fonctions grammaticales dune façon inconsciente prédispose la pensée à produire des systèmes philosophiques qui se développent de la même manière et se suivront dans le même ordre, alors que la voie semble barrée à certaines autres possibilités dinterpréter lunivers. Il y a tout lieu de croire que les philosophes de laire linguistique ouralo-altaïque (oú la notion de sujet est le moins bien élaborée) considèreront le monde dun autre oeil et sengageront dans dautres sentiers que les Indo-Européen ou les Musulmans[17].
Or Benveniste pourrait-il considérer cette suggestion de Nietzsche comme une manifestation de son déterminisme linguistique ? A ce propos il sexprime ainsi:
Cest un fait que, soumise aux exigences des méthodes scientifiques, la pensée adopte partout les mêmes démarches en quelque langue quelle choisisse de décrire lexpérience. En ce sens, elle devient indépendente, non pas de la langue, mais des structures linguistiques particulières. La pensée chinoise peut bien avoir inventé des catégories aussi spécifiques que le tao, le yin et le yang: elle nen est pas moins capable dassimiler les concepts de la dialectique matérialiste ou de la mécanique quantique sans que la structure de la langue chinoise y fasse obstacle[18].
Voilà une très belle confirmation da la liberté fondamentale de la pensée! On dirait que Benvensite, en tant quil sagit de ses principes généraux, fait montre de beaucoup plus de sentiments anti-déterministes quon pourrait le penser selon sa propre analyse des catégories aristotéliciennes. Lorsquil effectuait cette analyse, il était, me semble-t-il, plus proche de lesprit du texte cité plus haut de Sapir: Le philosophe, dans une mesure bien plus importante quil ne le reconnaît, savère victime dune tromperie exercée par son propre discours; en dautre termes, la forme dans laquelle se moule sa pensée (il sagit essentiellement dune forme langagière) se trouve en relation directe avec sa vision du monde[19].
Finalement, si je peux résumer la pensée de Benveniste en mes propres mots, elle consiste à souligner linfluence de la langue sur la pensée en ce sens que la langue chinoise laisse sur la pensée des chinois lempreinte de ses propres catégories spécifiques (comme yin et yang ), et la langue grecque de ses propres catégories, ou bien la langue sanskrite les siennes, sans empêcher la pensée quelle sexprime en chinois, en grec ou en sanskrit dassimiler des catégories, appartenant aux autres langues et autres traditions de la pensée. On pourrait trouver une remarquable confirmation indirecte de cette idée dans les travaux du philosophe français contemporain François Jullien. Ce dernier, grâce à un détour par la Chine, nous fait voir dans quelle mesure la philosophie occidentale est restée dépendante de constellations langagières et dans quelles autres voies peut sengager une pensée sexprimant en chinois. Cette dernière se passe très bien des concepts de sujet et dobjet, du concept du temps, ainsi que dun grand nombre dautres notions et principes que nous considérons comme universels, mais en même temps elle se montre réceptive aux idées et aux concepts occidentaux[20].
Or au point oú sarrête Benveniste dans son article, nous pouvons nous poser une autre question: lassimilation des catégories des autres cultures est-t-elle vraiment possible ? Et si oui est-elle toujours fidele aux originaux? Ou bien, en formulant la même question dune manière plus pertinente pour notre thème toutes les difficultés dassimilation seraient-elles liées uniquement aux facteurs sociaux, culturels, historiques, psychologiques etc., mais non à la langue en tant que telle? Il me semble que dégager ici une influence linguistique pure serait aussi impossible que dissocier la pensée de sa forme langagière. Mais néaumoins, le facteur linguistique mérite une attention tout à fait particulière.
Cela ne signifie pas, je le répéte, que lanalyse de la pensée devrait se réduire à lanalyse de la logique des interconnections propre à la langue même, mais néaumoins, elle ne peut pas ne pas la prendre en considération. Notre réflexion sur le langage est comparable au fil attaché au pied du personnage planant dans les nuages dans le film Huit et demi de Frederico Fellini, et par lequel on le tire pour le réveiller. Dans le cas des réflexions linguistiques cest un garant supposé du rapport dun beau rêve philosophique à la réalité de la condition humaine.
* * *
Je voudrais montrer dans le cadre de cet article, à titre dillustration, comment fonctionnent les idées de Benveniste appliquées à la tradition de la philosophie indienne dexpression sanskrite. Il convient tout dabord de rappeler la parenté fondamentale du sanskrit et du grec ancien qui appartiennent lun et lautre à la même famille des langues indo-européenes. Cela nous donne la possibilité détudier un cas particulièrement intéressant, celui oú, dun côté, nous avons affaire à une tradition autre, dans laquelle les paramètres spécifiés par Benveniste, à savoir, les capacités des hommes, les conditions générales de la culture, lorganisation de la société, sont différents, mais qui , dun autre côté, est parente du monde grec par la structure de sa langue. Nous voici dans une situation idéale pour vérifier dans quelle mesure le langage influe sur la pensée. LInde nous offre encore la possiblité supplémentaire dexaminer linfluence éventuelle de la réflexion grammaticale sur la pensée philosophique pure, du fait que cette réflexion sy est développée a une date bien plus ancienne (VI-V siècle avant J.C.) quen Grèce.
Nous allons examiner une classification ontologique particulierement développée dans la philosophie indienne celle de lécole Vai÷eùika (littéralement lécole des distinctions) dans la version classique de Pra÷astapàda (VI siècle de notre ère)[21]. Elle comporte six rubriques: dravya (substance), guõa (qualité ou propriété), karman (mouvement en tant que déplacement dans l espace), sàmànya (traits généraux, universalité), vi÷eùa (traits particuliers, particularité) et samavya (inhérence). Le terme-clé de cette classification est celui de padàrtha, littéralement le sens de mot (padasya-arthaþ). Mais ce ne sont pas les sens ou les objets des mots qui ont été soumis à la classification sous les rubriques mentionnées ici, mais plutôt les choses mêmes indépendamment des mots, parce quune des caractéristiques attribuées aux padàrtha par Pra÷astapàda est labhidheyatva expressibilité par des mots (de simples mots ne pourraient par définition recevoir ce qualificatif) . Deux autres caractéristiques des catégories sont astitva, ou le fait dêtre, et jeyatva la cognoscibilité. On en conclura que les padàrtha du Vai÷eùika possèdent une existance indépendante aussi bien de la connaissance que du langage, tout en étant connaissables et exprimables en mots. Voilà une expression très claire de leur réalisme ontologique et épistémologique. Dans la littérature indianiste, les padrtha ont été souvent traduits par catégories, au sens de modes de la réalité.
Bien que la dimension ontologique soit bien explicite chez Pra÷astapàda, son tableau des padàrtha, aussi bien que celui des catégories dAristote, porte lempreinte de la langue dans laquel il a été introduit. Les trois premières rubriques, celles de dravya, guõa et karman, reflètent bien la structure des divisions caractéristiques pour le sanskrit entre les désignations des choses mêmes, de leurs attributs, et de leurs mouvements. En réalité, nous ne percevons que la présence brute des choses (on ne sasit jamais ni propriétés, ni mouvements en dehors des choses mêmes), mais la connaissance que nous en prenons est liée à lanalyse que nous en faisons à laide des termes suggérés par notre langue. Cette analyse génère ainsi une distinction entre le substrat et ce qui lui est rapporté. Le terme dravya possède le double sens de chose individuelle, comparable à lessence première (proté ousia) dAristote, et de substrat ou substance (comparable de son côté à lousia dAristote) dont mouvements et qualités sont prédiqués.
Les philosophes indiens, et surtout parmi eux les bouddhistes, avaient une conscience très claire de ces deux étapes de la perception sensible. A la première ils ont donné le nom de nirvikalpa-pratyakùa perception sans contruction mentale, ou perception pure et indifférenciée sans distinctions ou prédications venant de lesprit. Cest uniquement à la deuxième étape quinterviennent toutes les distinctions. Praastapda partage cette idée avec le bouddhiste Dignàga, bien quil nait pas recours à la même terminologie[22]. Pour cette raison, la distribution du contenu perceptuel entre les différents padàrtha napparait chez lui quavec le second stade de la perception.
Nous allons nous adresser à cette analyse de Pra÷astapàda plus tard. Revenons à présent aux trois derniers padàrtha ou catégories sàmànya, vi÷eùa, et samavàya. Dans la version le plus ancienne des Vai÷eshika-såtra, texte de base de lécole, il ny en avait que trois dravya, guõa et karman. Or si nous nous bornions à ces trois catégories, les choses saisies à travers elles perdraient leur caractére de totalités concrètes. Cest-à-dire, quavec uniquement ces trois catégories nous ne serions pas capables de rendre compte du fait que les choses sont des touts, et pas simplement des substrats avec leur qualités et leurs mouvements présentés séparement. Cest le samavàya, linhérence, quexplique linséparabilité dun substrat et des ses qualités, dun effet et de ses causes etc., bref, qui rend aux choses leur identité perdue.
Mais, il y avait un autre problème engendré par la division en substance, qualité et mouvement. Même si nous ajoutons à notre liste la catégorie dinhérence (samavya), elle ne sera pas complète, parce quelle ne nous permettra pas dexpliquer pourquoi certaines choses sont semblables et désignables par les même mots, et certaines sont différentes les unes des autres et désignables par des noms différents. Bref, il nous restera à expliquer les similitudes (généralité) et particularités (individualité) des choses. Mais ce genre de questions se pose uniquement au niveau épistémologique, quand nous essayons de comprendre le monde en prenant comme point dappui notre propre connaissance, mais non pas le monde lui-même. Il serait logique dinterpréter sàmànya et vi÷eùa comme des catégories plutôt épistemologiques quontologiques. Mais dans le projet de Pra÷astapàda elles sont malgré tout ontologiques. Pourquoi ? Ici, il convient de mettre en évidence deux particularités de la philosophie du Vai÷eùika. Premiérement, ils identifiaient le mot et la pensée, ou le mot et l idée, exprimée par lui. Deuxièmement, les Vai÷eùika étaient partisans du principe de correspondance entre mots (idées) et choses[23]. Cela veut dire que, dun côte, rien nest présent dans la réalité qui ne le soit aussi dans le langage et dans la pensée.
Dun autre côté, si dans la pensée nous avons les idées de généralité et de particularité, selon la logique de Vai÷eùika, leur prototypes doivent être présent dans la réalite elle-même. De plus, toutes nos démarches sémantiques liées à lutilisation des mots par rapport aux choses ont aussi besoin de ces catégories de sàmànya et vi÷eùa. Quand nous disons une cruche est en cours de fabrication , quel est alors le contenu de signification du mot cruche ? Après tout, à ce stade, la cruche en tant quobjet nexiste pas encore. Le paradoxe se laisse résoudre de deux manières différentes. Ou bien nous admettrons une préexistence de la cruche dans ses parties (satkàryavàda) ; ou bien, en accord avec le principe de lasatkàryavàda, nous considèrerons que la cruche nest pas encore présente dans ses parties et dans ce cas nous poserons que le mot cruche désigne un universel éternel, la cruchéité qui, lui, se trouve déjà contenu dans les parties de la cruche. Cest à cette dernière solution que se rallient le Nyàya et le Vai÷eùika.
Cest notamment ici que savèrent importantes les réflexions sémantiques des philosophes indiens. Ce genre de réflexion a été bien développé dans de nombreuses écoles de la philosophie indienne à lexception paradoxale du Vai÷eùika. Ce dernière ne manifestait aucun interêt pour les discussions entre les autres écoles concernant le signifié des mots. Les linguistes indiens ont proposé plusieurs solutions: dravya (la chose individuelle) pour le grammarien Vyàói ; àkçti (la propriété générique) et jàti (le genre ou luniversel) pour Vajapyayàna ; les trois pour le Nyàya. Pra÷astapàda névoque jamais ce sujet, mais on trouve dans son texte des signes indirects en faveur de tantôt de luniversel (sàmànya) et tantôt de lindividu (vyakti). Il me semble que cest justement là quil faut chercher la justification de lintroduction dans le système des categories de la paire sàmànya - vi÷eùa; les traits généraux se constituant en catégorie duniversel (sàmànya), et les traits spécifiques en catégorie de particulier (vi÷eùa).
Nous allons analyser le texte de Pra÷astapàda de manière à mettre en évidence cette reconstruction. Il y est question de la seconde étape de la perception sensible. Dans la première étape, les objets et les universaux inhérents à eux sont perçus comme quelque chose dindéterminé (cela correspond au stade nirvikalpa ou antéprédicatif de la perception selon Digïàga). Dans la seconde étape (ou savikalpa pratyakùa de Digïàga ), la perception revêt un caractère déterminé, cest-à-dire prédicatif.
Par suite dun contact entre làtman et le manas et en dépendance de spécifications (telles que) (1) le général, (2) le particulier, (3) la substance, (4) la qualité, (5) le mouvement ; la connaissance sensible se produit (sous la forme du jugement) : (1) cela existe, (2) savère être une substance, (3) celle de la terre, (4) cela a des cornes, cest une vache blanche, (5) elle marche [24]
Pour Pra÷astapàda,
toute démarche consciente de lesprit (buddhi) consiste en deux
opérations, lune dinclusion (anuvçtti), visant à ranger
un objet X sous létiquette dune notion plus générale
(cest à dire à déterminer ce quil a de commun avec
dautres objets), lautre dexclusion ou de spécification (vyàvçtti),
consistant à distinguer lobjet X dun groupe dautres objets. Le
fondement de l anuvçtti
savère être la catégorie
de sàmànya;
celui de la vyàvçtti étant la catégorie
du vi÷eùa. Il faut souligner que les
termes anuvçtti-vyàvçtti
ont de clairs antécédents dans la tradition grammaticale. Anuvtti
est un terme de Pàõini,
le grand linguiste indien du V siècle
avant notre ére ; il désigne chez lui la recurrence, [la]
validité dans telle règle
dun élément figurant dans une règle antérieure,
tandis que vyvçtti désigne -- lexclusion, [l] empêchement à lapplication dune règle (définitions
de Luis Renou[25]). On voit donc bien que
ces significations propre à lanalyse grammaticale sont assez proches
des sens dinclusion et dexclusion chez Pra÷astapàda.
Dans la
logique de Pra÷astapàda,
qui est strictement attachée au principe de correspondance entre mots et
choses, le simple fait que nous exécutions ces actes prouve la réalité
des catégories de luniversel et du particulier. Prêtons
attention à la forme grammaticale de lexemple : le (seul) sujet
grammatical, la vache, reçoit une série de prédications
en forme de spécifications (vi÷eùana):
existant (sat), substance (dravya),
fait de terre (pçthivã),
cornue (vi÷àõi),
blanche (guõa) marche
(gachati).
La première chose que nous repérons dans lacte de la perception, cest lexistence elle-même (sattà) de notre objet (la vache). Selon le Vai÷eùika, cest cette existence qui apparaît comme le facteur le plus général, omni-englobant (cf. le quantificateur dexistence en logique). Elle correspond à luniversel suprême de lexistence. Ensuite, nous abaissons progressivement le niveau de la généralisation (en langage hégélien, nous progressons de labstrait vers le concret). Nous comprenons que lobjet X est une substance (dravya), cest-à-dire que nous le rapportons à la catégorie du dravya. Parmi les substances, il appartient à la classe des choses terreuses (subclasse de la terre). Parmi les substances terreuses, il savère être une vache. A cette vache sont inhérentes des qualités (guõa) comme la couleur blanche et la possession de cornes, ainsi que, temporairement, le mouvement (karman).
Les questions de sémantique nintéressent pas Pra÷astapàda. Il nexamine pas ici le sens possible de tel ou tel terme ou de la proposition dans son ensemble. Ce qui compte ici, cest le schéma de lopération cognitive envisagée comme détermination progressive dun certain objet, à savoir une vache blanche en train de marcher. Il nous montre que cinq catégories universel, particulier, substance, qualité et mouvement - constituent la grille de spécifications qui détermine la conscience perceptive.
Comme dans le cas des catégories arisotéliciennes par rapport à la langue grecque, nous ne pouvons pas dire que le systéme des catégories de Pra÷astapàda présente un tableau complet des catégories grammaticales de la langue sanskrite (il y en avait beacoup dautres, comme en grec), mais néaumoins, nous voyons assez clairement que les trois premiers padàrtha sont liés à la façon de comprendre les choses à travers la distinction entre substantifs, adjectifs et verbes qui est imposée par le sanskrit. Et les trois autres sont là pour enraciner dans la réalité (ontologiser) les moyens dont nous disposons en propre pour reduire les dégats causés par lapplication de cette grille catégoriale (notamment la perte du caractère de totalité des choses). Pour mieux comprendre cette situation, revenons un instant à Benveniste:
Il est de la nature du langage de prêter à deux illusions en sens opposé. Étant assimilable, consistant en un nombre toujours limtité déléments, la langue donne limpression de nêtre quun des truchements possibles de la pensée, celle-ci, libre, autarcique, individuelle employant la langue comme son instrument. En fait, essaie-t-on datteindre les cadres propres de la pensée, on ne ressaisit que des catégories de la langue[26].
La première illusion au sens benvenistien est trés évidente dans la philosophie de Pra÷astapàda il nopère pas de distinction entre mot et idée. Pour lui, lacte cognitif (buddhi) consistant en contact entre le sujet, làtman, lorgane interne, manas, les organes des sens et leurs objets, est un jugement verbal par excellence. Cest pour cette raison notamment que Karl Potter, un des spécialistes du Vai÷eùika les plus connus, a traduit buddhi (et ses synonymes jna, pratyaya et anupalabdhi) par jugement[27].
Un autre argument en faveur de la présence chez Pra÷astapàda de cette illusion est sa thèse selon laquelle la connaissance par les mots (abda), ne constitue pas un moyen indépendant de connaissance droite (pramàna), mais peut être assimilée à une inférence logique. Selon les Vai÷eùika, il y a deux sources de connaissance droite : la perception sensible (pratyakùa) et linférence logique fondée sur elle (doú son nom anumàna, littéralement ce qui suit de [la perception]). Cette dernière opère dans les situations où, pour diverses raisons, la perception directe dun objet nest pas possible (il est trop petit, trop grand, éloigné, caché etc.). Dans ce cas, nous pouvons utiliser comme point d appui la concomitance régulier enseignée par lexpérience passée entre l objet A de la présence duquel nous desirons nous assurer et un autre objet B. Là, où ce second objet est perçu il joue le rôle de signe dinférence (liïga) permettant de conclure que le premier objet est bien là. Par exemple, la fumée quon voit derrière la colline constitue un signe pour conclure à la présence du feu caché à notre vue par cette colline. De la même façon le mot constitue un signe qui nous garantit lexistence de la chose désignée par lui. Ce qui fonde le statut du mot en tant que signe inférentiel, cest présisement le principe de correspondance. Même si quelquun na jamais vu de vache, il peut être assuré, grâce à la présence du mot vache dans lusage linguistique (vyavahàra), que cet animal existe bien quelque part.
Pra÷astapàda, en essayant détablir une liste close et exhaustive des catégories, utilise, aussi bien quAristote, les distinctions présupposées par la structure de sa propre langue. Il est vrai quà la différence dAristote, il pourrait sappuyer sur une tradition réflexive pas uniquement linguistique, mais aussi linguistico-philosophique et portant directement sur la nature de la langue et ses relations à réalité. Néanmoins, il prétend à une démarche indépendente de cette tradition, une démarche que nous pouvons appeler ontologique. Aussi, les catégories ne se présentent pas chez lui uniquement sous la forme de schématisations cognitives ou langagières. Si elles peuvent jouer ce rôle, cest précisément parce quelles existent dans la réalité.
Nous nous heurtons ici à la deuxième illusion dont parlait Benveniste à propos du rapport entre langage et pensée : Le fait que la langue est un ensemble ordonné, quelle révèle un plan, incite à chercher dans le système formel de la langue le décalque dune logique qui serait inhérente à lesprit, donc extèrieure et antèrieure à la langue[28].
Il sagirait de la découverte dans le langage dune logique pour ainsi dire inhérente à la réalité elle-même. Elle prend ici la forme dune attribution forcée au langage des catégories propres au Vai÷eùika. De cette manière, nous pouvons voir que la perspective ouverte par Benveniste pour la recherche des rapports entre le langage et la pensée pourrait savérer féconde aussi en dehors de la tradition européene.
[1] Catégories de langue et catégories de pensée, in Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966 (la première publication Les Études philosophiques, N 4, 1958, P.U.F., Paris).
[2] Le dossier concernant cette polémique a été rassemblé par Frédérique Ildefonse et Jean Lallot dans leur édition-traduction: Aristote. Catégories. Présentation, traduction et commentataires de Frédérique Ildefonse et Jean Lallot . Éditions des Seuil, 2002, pp. 328-344.
[3] F. Nietzsche, Oeuvres philosophiques complètes. Par-delà bien et mal. La généologie de la morale, trad. C. Heim, Paris, Gallimard, Folio essais, 1971, p.21; Cf. aussi: Nietzsche. Fragments posthumes, tome XI, 40 <23>, trad. M.Haar et M.de Launay, Paris, Gallimard, 1982, p. 373, 376.
[4] Sapir Edward. The grammarian and his language. - American Mercury, 1924, 1, pp. 149 155
[5] Benveniste, op. cit., 63-64.
[6] Claude Imbert . Phénomenologie et langues formulaires. Paris, PUF, 1992, p. 205.
[7] Sans avoir, certes, réduit la pensée à la langue au sens Benveniste entend ici le faire (italiques V.L) (Jacques Derrida, Le supplément de copule, Marges de la philosophie. Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 218).
[8] Benveniste, op. cit., p. 74.
[9] De cela témoignent certains faits bien connus des linguistes. Par exemple, Sapir remarque: Si lesquimo et lhottentot ne disposent daucun concept correspondant à notre notion de causalité, sensuit-il que leurs langues soient incapables dexprimer la relation de causalité. Evidemment non. En Anglais, en Allemand et en Grec ancien, nous disposons de moyens linguistiques déterminés pour passer dune certaine action ou situation initiale à son corrélat causatif, par exemple, en Anglais, to fall , tomber, to fell , faire tomber, wide , large, to widen , élargir, en Allemand hangen, pendreou être suspendu, hängen, pendre, causer létat de suspension; en Grec ancien phero porter et phoreo faire porter. Cette capacité déprouver et dexprimer la relation causale ne dépend nullement dune capacité de percevoir la causalité en tant que telle. Cette dernière capacité, par sa nature propre, se rapporte à la sphère de la consicence et de lintellect. Elle exige des efforts intellectuels importants, comme la majorité des processus conscients, et elle est caractèristique dune étape avancée de lévolution (Op. cit.).
[10] Benveniste, op. cit., p 70.
[11] Aristote. Catègories. Texte établi et traduit par Richard Bodéüs. Paris, Les Belles Lettres, 2001.
[12] Benveniste, op. cit., p.67.
[13]
Jules Vuillemin, Le système
des catégories. De la loqique az la théologie. Cinq
études sur Aristote. Paris, Flammarion, 1967, pp. 76-77.
[14] Ibidem, p.77.
[15] Benveniste, op. cit., p. 70.
[16] ...ce qui nest interrogé à aucun moment, cest cette catégorie commune des catégorie cette catégorialité en général az partir de laquelle on peut dissocier les catégories de langue et les catégories de pensée (Derrida op. cit., p. 218).
[17] Nietzsche. Par-delaz bien et mal, op. cit., p. 38. Traduction de C. Heim modifié.
[18] Op. cit., p. 73-74 .
[19] Op. cit. cf. p. 1.
[20] Voir surtout: François Jullien. Le Détour et laccès, Stratégies du sens en Chine, en Grèce, Paris, Grasset, 1995 ; rééd. Le Livre de Poche, Biblio , 1997; François Jullien, Du Temps , Éléments dune philosophie du vivre, Paris, Grasset, 2001; ainsi que le recueil darticles intitulé Dépayser la pensée. Dialogues hétérotopiques avec François Jullien sur son usage philosophique de la Chine. Textes recueillis et publiés sous la direction de Thierry Marchaisse avec la collaboration de Le Huu Khoa. Les Empêcheurs de penser en rond. Paris, Le Seuil, 2003.
[21] Toutes les réferences au texte de Pra÷astapda entitulé Padrthadharmasamgraha(Collection des caractéristiques des catégories) ou Pra÷astapdabhùya (Commentaire de Pra÷astapàda) sont donées selon ledition: Word Index to the Pra÷astapdabhùya. A Complete Word Index to the Printed Editions of the Pra÷astapàda. Ed. by J. Bronkhorst and Yves Ramseier. Delhi: Motilal Banarsidass, 1994.
[22] Il désigne la première étape comme svarpa-alocana-mtr pure vision de la forme propre PB [235], la deuxième étape ne porte aucun nom spécial.
[23] J. Bronkhorst, The
Correspondence Principle and its Impact on Indian Philosophy , Studies
in the History of Indian Thought 8, June 1996, 1-19.
[24]
[235] sàmànyavi÷eùadravyaguõakarmavi÷eùõàpekùàd
àtmamanaþsaïnikarùàt
pratyakùam
utpadyate sad dravyaü
pçthivã
vi÷àõi
÷uklo gaur
gacchatãti/
[25] Louis Renou.Terminologie grammaticale du sanskrit, Librairie Ancienne Honoré Champion,, Paris
[26] Benveniste, op. cit., p. 73.
[27] But is a judgement any bit of awareness, or must a judgment have a structure of a certain sort to be capable of being true or false? This is a fundamental question which receives extended attention by all serious writers on Indian thought. And it appears that there was an almost irresistible tendency to discuss this fundamental question largerly in terms of the possible structure, or lack of structure, that is possessed by the linguistic expression through which we communicate our judgements. Thus Indian thought anticipated the linguistic turnof modern analytic philosophy (Potter Karl H. Encyclopedia of Indian Philosophies. Indian Metaphysics end Epistemology: The Tradition of Nyàya-Vai÷eùika up to Gaõge÷a, Motilal Banarsidass, Delhi, 1977, p. 148).
[28] Ibidem.